jeudi 18 septembre 2008

Saint Martin d'Alary


C'est un homme discret, Frédéric Alary. Ses lunettes enfoncées sur le nez, on le dirait plus ingénieur ou chercheur que vigneron. Le cheveu est rare. La parole facile mais mesurée. Tout ici se joue en douceur. En modestie:
"Avec mon frère François, dit-il, nous sommes les derniers d'une lignée. Dix générations de vignerons... Mais ce n'est pas parce que nous sommes les derniers que nous sommes les meilleurs. Maintenant tout est en superlatif. J'en connais qui se proclament "sorciers en vin". Sorcier... Ça n'a pas de sens... Si le vin avait des secrets, depuis 2000 ans qu'on en fait, franchement ça se saurait!"
"Alary, vigneron depuis 1692", pourraient-ils écrire au fronton du Domaine de l'Oratoire Saint Martin. Il s'en sont bien gardés. Ici, pas de grands mots. Pas de révolution. Juste deux hommes, un "machiniste agricole" et un "chimiste" (comme dit Frédéric...) qui avancent pas à pas, depuis 24 ans. Avec l'ambition de tirer le meilleur de cet héritage, sans maltraiter la vigne, sans chimie. Avec l'idée au fond que "l'homme doit toujours s'effacer devant le terroir".

Et quel terroir! Vingt hectares parmi les plus beaux de Cairanne: Des terrains sur lesquels les Mourvèdres de l'arrière grand-père (1905) cohabitent avec de jeunes Syrahs plantées ces vingt dernières années. Où les cépages blanc de Marsanne et de Roussane côtoient de vieilles Grenaches.

Juste avant les vendanges, il faut voir les Alary arpenter ces précieuses vignes. Ils se font alors goûteurs... Arrachent un grain par-ci, un autre par là. L'écrasent entre leurs doigts pour tester la maturité, l'épaisseur des peaux. Puis goûtent, les tannins et la pulpe collés aux papilles. On se regarde, on hoche la tête. Et c'est reparti, inlassablement...
"C'est un moment clé, raconte Frédéric. Celui où l'on décide à l'intuition quand la vendange commence et quelle parcelle peut en épouser une autre. Quel "pot-au-feu", quel assemblage de cépage, sera le plus prometteur en cuve. Ce qui est formidable, c'est que chaque année est différente. Qu'il faut, à chaque fois, tout réinventer".
Patients, les ouvriers espagnols qui passent la frontière tous les ans pour ramasser à l'Oratoire regardent les "patrons" s'interroger une dernière fois. Mais lorsque le signal du départ est enfin donné, ils savent qu'un autre jeu de piste commence.
"On les rend dingues, rigole Frédéric. On peut leur demander de ramasser une rangée. Puis on les arrête au milieu, parce que le reste n'est pas prêt. Et on les remonte dans le camion pour partir vendanger une autre parcelle. Et on revient, l'après-midi, le lendemain, deux jours plus tard... Comme on paie à la journée, ils s'en fichent... Ils font la sieste dans le camion. Mais je suis sûr qu'ils nous prennent pour des fous!"
Sans doute.

Mais s'il y a un secret chez les Alary, c'est bien celui-là: une attention permanente, pointilleuse, tout au long de l'année. Le soucis du moindre détail à la vigne comme au chai. La patience aussi... Frédéric n'est pas joueur d'échec pour rien. Il sait poser ses pièces. Ne rien précipiter. Bouger au bon moment.

Derrière l'Oratoire qui a donné son nom au Domaine, on sera peut-être surpris de trouver une cave ultramoderne. Ici, comme ailleurs, les deux frères ont cherché le meilleur. Un mélange de high-tech et de traditions empruntées aux meilleurs vignerons de France:
"Aujourd'hui, rappelle Frédéric, on ne fait plus du vin tout seul, dans son coin..."
Même soucis du détail en bas, dans le chai à barrique installé sous la maison de famille. Là, dans le brouillard humide d'un brumisateur artificiel, vieillissent les cuvées du Domaine: le blanc parfumé des Haut-Coustias, l'immédiat Petit Martin mais aussi les vins de garde: ces Prestige et Réserve des Seigneurs auxquels le Mourvèdre, cépage culte la Maison, apporte sa force, son nez puissant et poivré. Ses arômes de truffe.
"Celui-là c'est un sacré animal, s'émerveille le vigneron de Cairanne, en sirotant un verre de Prestige 94. Un grand incompris. Il faut savoir l'attendre quelques années, ne pas se précipiter. C'est un cépage formidablement généreux, mais très exigeant."
Parfois, la ligne du Domaine sonne tard le soir. C'est un client désemparé, à la recherche d'un conseil. Patient, Frédéric décroche et recommande à l'amateur trop pressé de laisser le vin s'aérer. De prendre son temps. Il rappelle que le Mourvèdre se mérite. Chez les Alary, on assure même le service après-vente.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Dégusté hier une cuvée Prestige 2001. Un très beau vin qui correspond à la description faite, le plaisir avec.